L’événement Séparation : des audits à tâtons
Malgré des flous réglementaires encore présents, les premiers audits pour l’agrément vente ont eu lieu. Côté offres et recours au conseil phyto, il y a peu d’évolution pour le moment. Par Marion Coisne
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Comme le chantait en 1989 Jean-Louis Aubert, « Voilà, c’est fini ». Désormais, plus de conseil et de vente phytos au sein de la même entreprise. Avec toujours des zones d’ombre quant à l’interprétation des textes. Malgré tout, il a fallu avancer et les premiers audits ont eu lieu. De leur côté, si les agriculteurs ont pris connaissance de la nouvelle configuration, il n’y a pas eu de ruée vers un conseil de préconisation indépendant, ni, en face, de vague de nouvelles offres. Selon le calendrier de renouvellement de l’agrément vente des coopératives et négoces, des audits complets ou des vérifications documentaires ont été effectués. Ces dernières « doivent être faites avant le 30 novembre 2021, rappelle Vincent Couepel, dirigeant de Certis et président du Cepral, association d’organismes certificateurs du domaine agroalimentaire. On avance, on va être dans le timing. » Du moins concernant les distributeurs de produits à destination des professionnels, bien préparés. « Pour la distribution en jardinerie et la grande distribution, il y a encore beaucoup de communication à faire, on doit faire des relances », ajoute Vincent Couepel.
Des auditeurs pas toujours à l’aise
Quant aux audits, « ils suivent leur cours », ajoute le directeur de Certis, qui déplore les flous perdurant. « On n’a toujours pas de réponse claire sur jusqu’à quand, on est face à une information produit et à partir de quand, il s’agit d’un conseil de préconisation. Ce point nécessite d’être clarifié. En attendant, on fait avec ce qu’on a, et on n’est pas toujours à l’aise. » Un constat partagé par les distributeurs audités, comme Armbruster (lire ci-contre). De fait, il n’est pas simple pour l’auditeur de vérifier qu’il n’y a plus de préconisations phytos faites, surtout quand la frontière est aussi floue avec l’information produit obligatoire. « On trouve que c’est assez light », confie un distributeur.
En tout cas, pour le moment, il ne semble pas y avoir de problèmes particuliers, une bonne nouvelle pour les entreprises. « Sur les audits déjà réalisés, à notre connaissance il n’y a pas de gros soucis, observe Émilie Rannou, responsable conseil et approvisionnement à La Coopération agricole Métiers du grain. Sur les CEPP, les auditeurs sont plutôt satisfaits des diagnostics et des plans stratégiques des coopératives. Après, il faudra rester vigilant dans les années à venir pour les coopératives en grandes cultures, au vu du manque de fiches actions. L’amélioration continue ne sera pas forcément simple à obtenir. » Si la mise en œuvre sur le terrain se fait sans trop de heurts, quelques blocages sont tout de même pointés. « On nous a remonté des situations compliquées en matière de gouvernance, avec des producteurs présents dans le conseil d’administration d’une structure faisant la vente et d’une autre faisant du conseil, ce qui est incompatible, poursuit Émilie Rannou. Une organisation particulière a été prévue lorsque le schéma inclut une chambre d’agriculture, mais pas lorsqu’il s’agit de deux coopératives agricoles, par exemple. Compte tenu du fonctionnement démocratique des coopératives, ce n’est pas très compréhensible et ça complique encore davantage le recrutement d’agriculteurs prêts à entrer au sein de ces instances. On suit la mise en œuvre de la séparation sur le terrain de près, on recense les points qui coincent pour les porter à l’attention du ministère. »
Démultiplication des élus
Le sujet des agriculteurs aux multiples casquettes inquiète aussi du côté des chambres d’agriculture. « Il y a les élus chambre d’agriculture, Cuma, mais aussi des agriculteurs qui font de la prestation de service », illustre Philippe Noyau, président de la chambre d’agriculture Centre-Val de Loire et secrétaire adjoint de l’APCA. Car un producteur facturant des traitements phytos ne peut pas être élu au CA d’une structure proposant du conseil. « On est conscient que cela va être compliqué, mais on ne sait pas comment on va faire, reconnaît Philippe Noyau. Et l’échéance va vite arriver. » À savoir, les prochaines élections des chambres.
Côtés négoces, au sein d’Agrosud, cinq entreprises ont déjà été auditées. « Jusqu’à présent, toutes ont eu un retour favorable », indique Jean-Paul Palancade, à la tête du réseau. Pour lui, cela tient à une bonne préparation : outre l’accompagnement de la FNA, les négoces du sud se sont adjoint les services d’un cabinet RH pour former les équipes.
Dure campagne pour les TC
« Il y a eu beaucoup de formations de faites, appuie Antoine Pissier, à la tête du négoce éponyme et président de la FNA. Après, c’est clair que c’est un chamboulement dans la vie de tous les jours. Pour les TC, c’est une remise en question profonde de leur rôle. Pour eux, il ne s’agit pas de vendre, mais d’accompagner. La séparation est une vraie rupture. Certains se disent, “mais à quoi je sers ?”, même si en pratique les phytos ne sont qu’un aspect de leur métier. » De là à changer de travail ? « Je pense, oui », répond Antoine Pissier, même si le phénomène est difficile à quantifier.
En face, les agriculteurs ont dû faire sans le conseil préco de leur TC habituel. Ont-ils été en chercher un payant ailleurs ? A priori, non. Du côté des chambres d’agricultures, qui proposent depuis des années du suivi technique individuel et en groupe, « il n’y a pas eu d’augmentation particulière des demandes, observe Philippe Noyau. Mais c’est une année de transition. » Qui ne présage pas de la suite. En Occitanie et Paca, Jean-Paul Palancade n’a pas non plus vu de recours à des prestations de conseil, même si le besoin est là. « Il y a une demande, on ne peut pas le cacher. Mais pas de là à franchir le pas d’investir de l’argent dedans, du moins pour l’instant. » Même son de cloche chez Néolis, dans les Deux-Sèvres, analyse Jean-Pascal Mounier, responsable de région.
Davantage de traitements en 2021
Sans conseil, les agriculteurs ont-ils davantage traité, comme le craignaient des professionnels ? En grandes cultures, « on a vu moins d’impasses, notamment sur les antifusarioses, avec des passages quasi systématiques, même sur variétés tolérantes », rapporte Jean-Pascal Mounier. Mais difficile de faire la part des choses entre la séparation et un contexte prix du blé très haut, poussant à la sécurisation. En vigne, les passages ont explosé dans beaucoup de vignobles, mais la pression maladies était exceptionnelle. « C’est un retour en arrière, déplore Aymé Dumas, responsable technique chez Armbruster. On ne peut plus parler réduction de doses, par exemple. » Dans le Sud, « on n’a pas vu de surconsommation, estime Jean-Paul Palancade. C’est un risque. Mais on continue à faire de l’observation et à promouvoir les produits de biocontrôle. » Du moins ceux faisant l’objet d’une fiche action CEPP, soit la moitié des produits sur le marché (hors espaces verts et jardins), d’après une estimation d’IBMA France. Agriculteur lui-même, Philippe Noyau n’a pas senti autour de lui « d’agriculteurs perdus », même s’il reconnaît « une année climatique compliquée », avec des bioagresseurs au rendez-vous. « Les coopératives et négoces sont encore présents, dans la limite de la réglementation, avec le biocontrôle, par exemple », justifie le président de chambre.
Quant au conseil stratégique, les lignes bougent, mais doucement. Les chambres d’agriculture ont calé leurs offres, et des séances ont été réalisées un peu partout en France. « Soit en individuel, soit par groupe de cinq personnes maximum, pour réduire le coût », explique Philippe Noyau. Le conseil coûte 250 € en collectif et 450 € en individuel si l’outil d’enregistrement des pratiques, par exemple Mes parcelles, existe. Sinon, il faut rallonger la facture au temps passé, à raison de 650 € par jour. Les CER se sont aussi positionnés sur le créneau. 2021 aura été une année de transition. « Voila, c’est fini », mais reste maintenant à caler cette nouvelle configuration post-séparation.
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